Adeeb Shaban fait les cent pas dans son cabinet de dentiste du camp de réfugiés de Shuafat, à Jérusalem-Est. « Donald Trump fait une grave erreur », fulmine-t-il entre deux patients. Le président américain a mis sa menace à exécution, deux semaines après un tweet incendiaire reprochant aux Palestiniens de refuser de négocier la paix avec Israël. Sur une enveloppe d’aide de 125 millions de dollars destinée à l’UNRWA (l’agence onusienne chargée de l’aide aux réfugiés palestiniens), 65 millions ont été retenus jusqu’à nouvel ordre.
Une seconde gifle pour les Palestiniens, un mois après la reconnaissance américaine de Jérusalem comme capitale de l’État hébreu. « C’est insensé ! Pourquoi nous infliger une punition collective alors que les conditions de vie sont déjà exécrables dans les camps ? » s’indigne le père de famille en montrant un édifice en ruines par la fenêtre. Cette volte-face des États-Unis, premier pays contributeur à l’UNRWA, plonge dans l’incertitude plus de cinq millions de réfugiés et 30 000 employés dans les territoires palestiniens et les pays arabes voisins.
Déjà à court d’argent, l’organisation – dirigée par le Suisse Pierre Krähenbühl depuis 2014 – refuse de couper dans les services essentiels, comme les écoles ou les hôpitaux. Mais jusqu’à quand ? « Nous sommes déterminés à trouver de nouvelles sources de financement », martèle le porte-parole, Chris Gunness, en avouant du même souffle que l’agence traverse « la pire crise financière de son histoire. » Une vaste campagne d’urgence pour recueillir des dons a été lancée, à l’heure où les États-Unis réclament une refonte de l’organisation et le partage de la facture avec d’autres pays. « L’argent doit être mieux dépensé », a indiqué la porte-parole du département d’État américain, Heather Nauert.
Trump disqualifié
Amir entre en courant dans la clinique d’Adeeb. Les pluies torrentielles d’hiver transforment les ruelles de Shuafat en ruisseaux et font déborder les égouts. Les déchets s’amoncellent au pied du mur de séparation qui isole le camp du centre de Jérusalem. « Les réfugiés palestiniens ne peuvent survivre sans l’UNRWA », plaide le comptable de 43 ans qui a fréquenté l’une des trois écoles de l’agence du camp quand il était enfant. « Les États-Unis et Israël tentent de nous imposer leur plan sans négocier mais on ne règle pas un conflit par des menaces », soutient Amir. Plus aucun Palestinien ne croit en « l’accord ultime » promis par Donald Trump.
Mike Pence boudé
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a rompu ses liens avec l’administration américaine. Pas question pour lui de s’asseoir avec le vice-président Mike Pence, en visite ces jours dans la région (lire ci-dessous). « Les Américains ne sont plus un médiateur neutre », argumente Amir, avant d’être interrompu par une énième panne d’électricité. Une femme tente d’éclairer la pièce à l’aide de son téléphone. « C’est comme ça tous les jours », souffle l’homme, résigné.
Les lignes d’électricité vieillissantes sont surexploitées. Le camp de Shuafat, construit en 1965 pour accueillir 500 familles, compte aujourd’hui 24 000 Palestiniens sur un minuscule territoire de 0,2 km carré. Le triple, évaluent les habitants, forcés de s’entasser dans des immeubles de plusieurs étages qui menacent de s’effondrer au moindre séisme.
Si ce n’est pas le luxe à Shuafat, les réfugiés sont mieux nantis que dans les 18 autres camps situés en Cisjordanie occupée et les 9 camps de Gaza, territoire sous blocus israélo-égyptien depuis dix ans. Situé à l’intérieur des limites de la Municipalité de Jérusalem, mais de l’autre côté du mur, plusieurs Palestiniens viennent y vivre pour échapper aux prix exorbitants du centre-ville et pour garder leur résidence permanente en Israël qui donne accès au système de santé et à la sécurité sociale.
Le risque de la radicalisation
En sirotant son thé à la menthe, Shaher al-Qam tente de ravaler ses craintes. « La détresse pourrait pousser les jeunes à se radicaliser », met en garde le travailleur social, membre du comité des parents du camp. L’UNRWA a toujours joué un rôle de soupape. « L’aide réduite pourrait avoir des conséquences sur la sécurité régionale », a rappelé Pierre Krähenbühl, commissaire-général de l’UNRWA. Sans la bouée de l’agence onusienne, « certains n’auront plus rien à perdre », s’agite Shaher, lui-même né dans un camp. Comme bien d’autres, ses grands-parents ont fui Beit Thoul en 1948, village aujourd’hui situé en Israël. Son seul souhait, revenir vivre sur les terres de ses ancêtres, même s’il ne se permet plus d’y croire.